Réprimer n'est pas aider

Publié le par cgtcaf83

                                                                                                        

 REPRIMER N’EST PAS AIDER

Dans les Alpes-Maritimes, le contrat de responsabilité parentale est financé par la baisse des crédits consacrés à l’aide éducative.

 

Tandis que, sur les instances du Président de la République, est présentée à l’Assemblée Nationale une proposition de loi relative à rendre plus automatique la suspension des allocations familiales pour les parents dont les enfants font preuve d’absentéisme scolaire, l’auteur de cette proposition de loi, le député Eric Ciotti, met en place à grande échelle, dans le département dont il est le Président du Conseil Général, le contrat de responsabilité parentale. Il donne ainsi de l’ampleur à une initiative revendiquée avec fierté par son prédécesseur, l’actuel maire de Nice, Christian Estrosi.

Ces deux mesures, qui s’articulent entre elles –la suspension des allocations familiales venant sanctionner le refus par les parents de collaborer au contrat de responsabilité parentale qui leur est « proposé »-, se veulent emblématiques de la volonté de certains élus de modifier en profondeur le paysage de la politique sociale de notre pays. Il convient d’être particulièrement attentif à ce qui se passe dans le laboratoire expérimental des Alpes-Maritimes, dans la mesure où ces dispositifs préfigurent ce qui pourrait être généralisé par la suite dans beaucoup d’autres départements.

Notons de suite que ces mesures ont déjà fait l’objet d’une décision législative, sans soulever l’enthousiasme. Elles n’ont encore trouvé que peu d’échos auprès de ceux censés les mettre en œuvre, tant elles apparaissent injustes et bien peu efficaces d’une part, peu conformes aux fondements de l’aide éducative et sociale d’autre part. Pour notre part, nous affirmons que la mesure de suspension des allocations familiales est injuste à plusieurs titres :

Elle pénalise des familles déjà fragilisées, dont beaucoup sont elles-mêmes dépassées par le comportement de leur enfant. Une majorité de parents ne sont pas complices de l’absentéisme de leurs enfants. Ils sont souvent débordés, perdus… Sont-ils responsables de la dérive de leurs enfants ? En sont-ils les seuls responsables ?

Elle est par ailleurs fortement inégalitaire, n’asphyxiant que les familles pauvres…et celles qui touchent des allocations.

Elle repose sur une conception réservant les allocations familiales aux seuls « bons parents » au détriment des « mauvais parents ». Elle contribue à une stigmatisation négative de ces derniers et tend à considérer les allocations familiales, non comme une contribution à la charge que représente un enfant mais comme une récompense, ce qui n’est pas conforme, ni au droit français, ni au droit européen.

 

 

 

 

La proposition d’une nouvelle loi en la matière vise à rendre encore plus expéditive la mise en œuvre de la suspension des allocations, par une automaticité de la sanction. Grandement préjudiciable à l’analyse des causes des difficultés des familles et à leur résolution ainsi qu’à  un accompagnement éducatif personnalisé et adapté aux circonstances globales qui les génèrent, ce durcissement de la loi initiale ne peut que susciter des critiques amplifiées par rapport aux opinions premières.

Le plus grave est à venir. Car, sur le fondement idéologique de la responsabilité individuelle des familles, le Conseil Général des Alpes-Maritimes est en train de totalement détourner l’esprit et la lettre des actions en faveur de la protection de l’enfance, telles qu’elles ont fait quasi consensus durant un demi-siècle. Il s’agit, non seulement d’instaurer des mesures de contrôle social des populations dites « déviantes » et de répression des comportements parentaux, mais de les substituer aux mesures éducatives et sociales jusqu’ici développées pour venir en aide aux familles en difficulté.

Ainsi, pour financer l’objectif de 300 contrats de responsabilité parentale, les services du Conseil général viennent d’annoncer la baisse de 25% des mesures d’Aide Educative à Domicile (elles passeront de 800 à 600) et de 37,5% des moyens en personnel pour les mettre en œuvre. Atteinte est ainsi portée à une mesure qui constitue une aide et un soutien véritable aux familles en difficulté.

Pour les mêmes raisons, les crédits dévolus à la prévention spécialisée vont diminuer de 15% tandis que les associations gérant ces services vont devoir réaffecter à des affectations d’une autre nature ces éducateurs chargés d’une mission de lien social et d’animation dans certains quartiers sensibles, dans le respect de l’anonymat et de la libre adhésion des jeunes. Il leur est demandé, d’ici le mois de septembre, de redistribuer leurs éducateurs (actuellement 3 par équipe) à raison de 2 éducateurs mis à disposition de chacun des 33 collèges du département rencontrant des problèmes d’absentéisme ou de discipline. Ces éducateurs devront travailler en périphérie de ces établissements, tandis qu’à l’intérieur de chacun d’entre eux sera installé un agent de police judiciaire… ! Que deviendront les principes de libre adhésion et d’anonymat des jeunes ? Quelle sera la mission de ces éducateurs ? Seront-ils les supplétifs de la police ? Serviront-ils à combler la carence criante en surveillants scolaires ? Comment les maires accepteront ce déplacement des intervenants sociaux qui, pour partie, quitteront les quartiers et abandonneront les actions éducatives qu’ils y animent ?

 

Le Carrefour National de l’Action Educative en Milieu Ouvert, en tant que porteur des préoccupations et des aspirations éthiques des travailleurs sociaux qui consacrent leur activité professionnelle à l’aide aux familles en difficulté et à la protection des enfants vivant en famille condamne fermement cette entreprise de démantèlement des formes les plus reconnues de l’action éducative et sociale en faveur de la protection de l’enfance.

Nous revendiquons le développement d’une action éducative et sociale visant à développer et soutenir les potentialités des familles qui s’inscrive clairement et résolument dans un souci de reconnaissance et de restauration des fonctions parentales, et donc qui s’oppose à toute notion de sanction des comportements parentaux. De ce point de vue, l’aide contrainte doit impérativement demeurer sous le contrôle de l’autorité judiciaire, seule autorité, qui, à nos yeux, devrait être habilitée à intervenir pour limiter le droit des parents et les sanctionner s’il y a lieu.

Nous refusons de voir transférer la responsabilité collective des dysfonctionnements sociaux sur la seule responsabilité individuelle des familles, dans une logique de culpabilisation et de stigmatisation des publics les plus en difficulté. Nous avons parfaitement conscience que le travail social se trouve au cœur des tensions entre carences de la société et responsabilités individuelles des familles. Et c’est bien dans cet « entre deux » que nous entendons demeurer.

Nous refusons une politique de prévention de la délinquance fondée sur une approche essentiellement répressive qui méconnaît que la délinquance se nourrit du terreau des carences collectives.

Nous demandons l’abandon des coups médiatiques qui accompagnent chaque fait divers d’une modification des lois et règlements, au profit d’une politique continue d’amélioration de l’emploi, du logement, de la santé, et de l’insertion sociale en faveur de l’ensemble de la population et donc des publics les plus vulnérables.

Nous appelons les élus, les associations d’action sociale, les professionnels concernés et tous les citoyens épris de justice et de solidarité à la vigilance vis-à-vis d’une dérive idéologique qui modifie singulièrement les relations entre la société et les individus qui la composent au travers de la stigmatisation des comportements parentaux et ouvre ainsi la voie à l’organisation d’une véritable police des familles par un dévoiement du travail social.

 

Philippe LECORNE

Secrétaire du CNAEMO

 

Article 21 de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance modifiant l’article 222-4-1 du code de l’action sociale et des familles

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